Fable du castor, de la laitue et de l’«Aigle»    Auteur : RLefebvre 2020-03-01



Castor : Je t’attendais, me dit une voix.

Je suis un peu surpris, car j’admirais un barrage de castor et voulais le photographier; j’ai,

par mégarde, activé sur mon interface intelligent l’application «Aigle», qui permet de

détecter des langages animaux et de me traduire leur communication.

Je réponds : Tu m’attendais? Comment cela ?

Castor : Pour que tu me manges. N’es-tu pas en chasse ?

Moi : Pas du tout, que je lui réponds,

Castor : Je connais des bonnes recettes, des succulentes.

Moi : Mais, mais… Pourquoi veux-tu que je te mange? Je ne doute pas que tu sois bon à

manger mais je suis plutôt surpris que tu ne t’enfuies pas, plutôt. Il doit y avoir une bonne

raison.

Castor : Oui. Un peu mystique... Je t’explique lentement pour que tu comprennes vite.

J’adore les barrages. Cela en fait quelques dizaines que je m’applique avec délices à

concevoir et à construire de plus en plus gros. Mais là, je veux participer à en construire des

encore plus gros; comme les méga humains. Je suis rendu là. Alors, si un humain me mange,

en lui, je pourrai participer à retenir le plus d’eau possible.

Moi : Mais je ne suis pas un constructeur, ni un concepteur de barrage.

Castor : Je sais; mais je sais que vos super projets sont le fruit de fantastiques

collaborations. En te nourrissant, je participerai sans doute à ces projets d’envergure. C’est

ce qui compte pour moi. J’aime trop les barrages. Je suis tanné des petits. Fais-moi cette

faveur. Toi aussi tu sembles admirer les barrages pour aller jusqu’à les photographier. Alors,

je pourrai les admirer en toi. Je ne veux plus être barré par ma vie de castor. Et tu va 

possiblement partager ton repas avec d'autres collaborateurs...

Je lui ai dit que j’allais y penser car de toute façon je n’avais pas ce qu’il faut pour 

l'immoler. Je reviendrai peut-être demain si la chasse est permise.

Castor : Super. Je t’espère.

Revenu chez moi, je vais au jardin pour cueillir une laitue qui s’adresse soudain à moi, car

j’avais oublié de fermer «Aigle».

Laitue : Pas tout de suite, me dit-elle, je ne suis pas prête. Je crains que tu ne me craches 

et ne veux pas manquer l’occasion d’accéder à un niveau supérieur comme le tien. J’aspire à

circuler au lieu de végéter sur place. Ton jardin est une belle place mais la curiosité me

dévore l’entité qui m’anime. Je dirais que mes précieuses racines m’embarrent maintenant.

Je décide donc de changer de menu. Je rentre à la maison quand «Aigle» lui-même s’adresse

directement à moi. Il me parle de la cascade de prédation dont je fais moi-même partie. Et il

daigne m’avertir qu’il se déclare prêt pour un festin cette nuit.

«Aigle» : Je suis prêt, dit-il sur mon intelligent.

Moi : Prêt à quoi ?

«Aigle» : À te manger.

Moi : Ouf ! dis-je un peu pas mal surpris. Déjà! J’utilise alors la ruse de la laitue en 

invoquant mon mûrissement insuffisant. Cela semble impressionner la fine gueule d’«Aigle» qui 

daigne patienter un peu; et moi aussi, en attendant d’épurer mon modeste désir d’exploration 

à de plus hautes sphères de vies supérieures, quand même toutes gonflées d’éphémérité.

C’est alors que je me réveille, tout jubilant de la patience d’«Aigle». Il m’aurait possiblement 

craché car je ne suis pas encore assez mûr pour trouver comment installer son appli de rêve. 

Bip ! Oh, excusez-moi, j'ai un message. Pas très poli mais c'est la mode...