Faveurs    

        Tout est éphémère. Si cela est évident avec le vent, il en est ainsi pour tout, que ce soit les montagnes, la planète, l’univers même. Comment, avec des exemples finis sous les yeux, l’homme peut-il supposer l’infini dans le temps ? Où baser l’infini ? D’ici à ce qu’on solutionne ce mystère, nous vivons avec des béquilles diverses pour avancer dans l’inconnu peuplé de dangers et pour, entre autres, renforcer la sécurité de nos vols. Un objectif de la sécurité est d’allonger notre éphémérité. Nous vouons à ces béquilles un pitoyable culte parce qu’elles nous sont salutaires. C’est le cas des faveurs. Les marins appelaient ainsi les fanions attachés un peu partout dans les câblages pour les aider à estimer rapidement l’écoulement de l’air autour de leurs voiliers. Quand on a goûté à une faveur, on en veut encore plus. Furent alors développés les biroutes, ou manches à air, bien que généralement d’autres signes soient présents. Ces manches sont si fiables qu’on oublie souvent d’observer tout autour de nous les signes qui suffisent aux oiseaux. Mais elles ne sont pas totalement fiables. Elles peuvent tomber, ou encore être déplacées à notre insu. C’est une expérience bousculante de se mettre à scanner le sol quand celles-ci manquent à l’appel parce que quelqu’un a jugé qu’elle irait mieux ailleurs. C’est une indélicate délicatesse qui démontre encore que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Bien situer une manche est une besogne, surtout pour obtenir le consensus rationnel des autres pilotes.

        Il y a plein de faveurs menteuses sur les décollages, par exemple. Plus un fanion est haut, plus il est fiable. Une perche télescopique est un outil qui peut atteindre le sommet d’un arbre sans avoir à grimper jusqu’à la cime. C’est bien d’en avoir, beaucoup, partout. Ils sont un peu criants ces oranges, rouges et roses fluos plus ou moins écolos, mais salutaires. Pour ce qui est des menteuses, il faut les reconnaître et les tolérer ; quand la course éphémère du vent change, ce sont celles-là qui deviennent vraies. De toute façon, elles ne mentent jamais, c’est nous qui sommes trompés. Elles indiquent toujours l’écoulement d’air à leur position. À nous d’interpréter correctement la turbulence qui doit exactement produire le spectacle observé. Sauf que, pour établir le calcul exact de ce fluide, cela pourrait prendre un temps non négligeable dépassant celui de notre passage, lui aussi éphémère. Il faut donc estimer, approximer et se fier principalement au vent sur notre face, sous notre aile et sur le chemin anticipé.

        Doit-on dire comment lire une manche à air ? Comme une bouche qui avale le vent. Ce n’est pas rare, surtout chez les néophytes surchargés psychologiquement en approche, d’avoir eu une lecture tout à fait inversée avec comme résultat un atterro vent de dos. Cela est très dangereux d’atterrir vent de dos. On ne se fait pas prendre deux fois. C’est une mince consolation d’avoir au moins tenté une lecture, car d’autres omettent de le faire et se lancent dans une approche habituelle. Cette attitude d’habitude a de désagréables surprises bien méritées car elle contrevient au sens de libre. Une manche ne se lit exactement que directement en-dessous ou directement au-dessus. Tant qu’on ne la survole pas verticalement, l’estime est moche. Enfin, remplacez les manches brisées, surtout celles figées en position quelconque. Il est un peu de la responsabilité de son installateur de ne pas abandonner un signe d’éphémérité en position fixe.

        « Il fait partie d’un bon plan de vol de planifier l’approche pour chacune des quatre directions cardinales de la rose des vents pouvant souffler dans la manche à air de l’atterro. » rappelait Rascar, l’autre soir, à un oisillon surpris par le catabatique. « Le cata quoi ? » répliqua le caneton.


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